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   "Plus j'y réfléchis plus je sens qu'il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens." Vincent Van Gogh    

                                                                                 CHAPITRE 6

 

 

Miliane décida finalement de raccompagner Gagnon jusqu'à la voiture. Elle avait envie aussi de se dégourdir les jambes et de courir un peu sur la plage au bord de l'eau. Il était 19h et si Gagnon n'avait pas été obligé de rentrer à Paris elle l'aurait volontiers invité à prendre un verre en terrasse et même y dîner.
La même voiture banalisée attendait Gagnon. Une femme sortit de la voiture en voyant Gagnon et fit un petit "Hello" de la main à Miliane qui fit tout pareil. 
"Bon voyage et vraiment merci d'être venu si vite" dit Miliane à Gagnon qui lui répondit : "Surtout. Surtout fais très attention à toi. Très."

 

Il y avait beaucoup de monde encore sur la plage et c'était une autre atmosphère encore que celle de la matinée ou celle de l' après midi. Mais toute aussi délicieusement familiale. Des gens jouaient au volley, d'autres aux boules avec leurs enfants, beaucoup restaient allongés sur la plage, à lire, à discuter, pendant que certains décidaient, allez hop !!!, de retourner se baigner.

 

Miliane repensait à Madame Dune et Miliane se rendit compte qu'elle avait par distraction agglomérer l'infime accent de Madame Dune avec l'impression toute physique qu'elle donnait. Et maintenant effectivement cet accent ressortait distinctement lorsque Miliane repensait aux propos qu'avait tenus  Madame Dune.

Miliane savait pourtant bien qu'il ne faut jamais se fier aux seules apparences d'une personne, surtout dans son métier, mais quel décalage hallucinant entre la personne qu'elle avait vue encore le matin même, assise sur un banc de l' Avenue de l' Océan, en train de faire du tricot et qui lui avait fait "Coucou !" de la main en agitant une pelote de laine vert d'eau et l'image certes conventionnelle que Miliane se faisait de quelqu'un travaillant pour la NASA !

Et Miliane n'avait alors même pas remarqué l'homme en chemise blanche, cravate et lunettes noires, debout juste derrière Madame Dune.

 

"Maman !!! Maman !!! Regarde le petit chat qui court avec la dame !!!!"

Miliane sa paire de sandales dans une main courait droit devant elle au bord de l' eau et n'avait pas vu un chat blanc et noir qui courait à ses côtés. C'est en  s'arrêtant pour continuer sa course en sens inverse qu'elle vit le petit chat qui semblait attendre que Miliane redémarre pour courir de nouveau à ses côtés.

Miliane lui dit :"Petit chat ! Si j'veux j'peux courir très très vite et tu n'me rattraperas pas !!!"  Miliane reprit sa couse puis elle accéléra et bifurqua soudain à 90 degrés et courut vers le remblai. Le chat bifurqua à son tour puis il la dépassa si vite que, toute essoufflée, Miliane vit le petit chat  loin devant elle s'allonger en s'étirant tranquillement de tout son long sur le sable comme pour l'attendre.

 

Arrivée tout près de lui Miliane regarda de haut ce chat allongé paresseusement sur le coté :

"Eh bien toi dis donc !!! Tu m'as l'air d' être un sacré coureur de jupons !!!"

Miliane plissa les yeux vers le regard du chat : ses prunelles d'un bleu nuit reflétaient un ciel constellé d'étoiles.

Miliane n'eut même pas le temps d'en être éberluée car elle entendit le chat lui dire :

"Maman viendra vous voir bientôt".

Puis le chat s'effaça de lui même petit à petit en ne laissant voir à sa place que le sable de la plage.

 

Il était maintenant déjà 20h : Miliane avait faim mais elle n'avait nullement envie de faire de la cuisine.

Aussi elle décida de retourner à l'appartement  changer de tenue pour aller ensuite dîner dans un des nombreux petits restaurants qu'il y avait sur le port.

Elle enfila sa petite robe Fendi toute neuve et ses mules assorties et vite elle redescendit  Avenue de l' Océan.


Le port était situé à 300 mètres environ et il suffisait de longer cette
avenue puis la Promenade Neptune pour y aller.

Les restaurateurs en été préfèrent nettement la rentabilité des clients qui sont en couple ou en famille avec leurs enfants plutôt qu'une personne qui occupe à elle seule toute une table. Miliane le savait et elle savait aussi insister et, devinez quoi ? : on lui en trouvait toujours une.

 

Sur le port les terrasses des cafés et des restaurants étaient toutes remplies de monde et les petits restos sans terrasse étaient souvent dédaignés car non seulement ils faisaient pour ainsi dire moins vacances d'été mais aussi parce que les menus qu'ils présentaient sur leurs cartes éloignaient les gens avec des noms de plats extraordinaires le plus souvent et aussi très alléchants mais que les passants prenaient avec raison parfois, et à tort d'autres fois, pour des menus snobs de restaurants prétentieux.

 

                    Mais sur le quai, parmi la foule, entre les tables des terrasses, les rires et les musiques,

                                                      se promenait le hasard candide et malicieux à la fois.

Il vit Miliane.

Miliane qui justement à cet instant s'arrêta devant un restaurant tout étroit coincé entre une boutique de souvenirs et une agence de voyage.

Miliane regarda la carte des menus et des plats de ce restaurant et elle fut immédiatement conquise. Elle leva les yeux et vit que le restaurant s'appelait "Chez Lucienne". Une serveuse sur le pas de la porte sourit à Miliane en la voyant bouche bée.

Miliane entra et la serveuse lui dit : "À cette heure-ci il n'y a encore personne, les habitués viennent ici plutôt vers 22h."

 

Le restaurant ne disposait que d'une dizaine de tables. Pas plus.

Miliane se sentit tout de suite bien dans ce petit restaurant silencieux et décoré sobrement. Sur les murs gris bleu étaient accrochés  quelques aquarelles, deux diplômes sous verre ainsi que deux autres photos sous verre également.

L'une des deux photos était en noir et blanc : on y voyait une femme en robe du soir, son visage faisait penser à celui de Danielle  Darrieux dans le film Marie-Octobre. Encore fallait-il connaître et avoir vu ce film pour s'en rendre compte immédiatement. Miliane l'avait vu.

 

"Madame prendra t' elle un apéritif ?"

"Hummm... Non. Mais j'ai choisi.

"Je vous écoute"

"En entrée ce sera les Saints Jacques aux agrumes, mangues et crème acidulée"

"Et comme plat ?"

" Le Mille-Feuille "Lucienne" aux pommes et chutney d' abricots. Pour le dessert... ...j'hésite encore..."

"Bien. Et comme boisson ?"

"Un verre de Château d' Aydie que je prendrai en même temps que les Saint Jacques et une carafe d'eau."

 

Un peu plus tard, alors que Miliane commençait son Mille-Feuille, elle entendit une voix :

"Tout se passe bien comme vous voulez ?"

Miliane leva la tête et elle reconnut la personne de la photo en noir et blanc.

Plus âgée mais il y avait sur son visage entouré de cheveux bouclés d'un blond roux, une telle douceur, une sorte de gentillesse mélancolique dans le sourire, qui en effaçait toutes les rides. 

 

"Oui c'est vraiment un délice des délices !!!" répondit joyeusement Miliane "...Et d'autant plus que je viens tout juste d'emménager dans cette ville : votre restaurant  est une ravissante découverte."

"Vous verrez : il y a une très belle et très grande plage et aussi un Parc magnifique" lui dit la femme.

Miliane saisit tout de suite l'occasion : "Oui je les vois de mes fenêtres car j'habite au 117 Avenue de l' Océan et en plus au 13ème étage. La vue y est splendide."

Miliane aperçut une très légère surprise dans les yeux bleus de la patronne du restaurant qui, en regardant le port à travers la vitre, lui répondit :

"Oh... Oui... ...Cela doit être bien joli... ... ...vous en avez de la chance..."

 

"Puis je m'assoir un peu avec vous ???" ajouta la femme "...votre présence me change agréablement des éternels bavardages pourtant très sympathiques de mes fidèles clientes et clients !!!"

 

 

"Faites."

La patronne regarda la serveuse qui préparait une table dans le fond de la salle puis elle s'assit en face de Miliane.

"Vous disiez que vous aviez emménagé au 117 Avenue de l' Océan... ... ... au 13ème étage c'est bien cela ?"

"Oui"

"Ne voyez dans l'objet de ma question qui va suivre et qui vous semblera d'ailleurs certainement malvenue, aucune curiosité malsaine mais seulement une grande inquiétude : Oui une immense inquiétude concernant une personne qui habite dans cet immeuble, au même étage que le votre, et dont je n'ai plus aucune nouvelle depuis déjà maintenant presque deux semaines..."

 

"À l'étage où je suis il n'y a que 2 appartements." dit Miliane "...Celui que j'occupe et celui d'une certaine Madame Dune. C'est à propos d'elle que vous vous inquiétez ???"

 

Miliane lut dans les yeux de la restauratrice d'abord l'incompréhension, puis la surprise, puis enfin une toute petite flamme d'espoir. Aussi s'empressa-t'elle d'ajouter : "À mon tour de paraitre indiscrète : comment se nomme cette personne qui vous est chère ???"

 

"Monsieur Paul Courtois."

 

"Monsieur Paul Courtois ??? Mais c'est le nom du précédent locataire de l'appartement dans lequel j'habite. Mais pourquoi êtes vous si inquiète ??? Il ne vous a donc pas prévenue qu'il déménageait ???"

"Non... Paul... ...Enfin Monsieur Paul Courtois n'avait aucune envie de déménager.

Je sais bien que l'on ne peut être sûr de tout, mais de cela, je vous en donne ma parole Madame,  je suis absolument certaine !!!...

 D'ailleurs... ... ..."

"D'ailleurs ?"

"Ho et puis autant vous le dire tout de suite : notre relation était si belle si fusionnelle, que Paul m'en aurait immédiatement parlé. Immédiatement".

 

"Avez vous pensé à demander à Madame Bastet ? Peut-être sait-elle quelque chose ?" dit Miliane en essayant de garder à un haut niveau

son sérieux et son calme qu'une esquisse de sourire commençait déjà à faire dégringoler en chute libre !

"Comment ?!?!?!! Demander à cette..."

"Oui... ...à cette... Directrice d' Agence" dit Miliane en devançant et déviant volontairement la pensée et la fin de la phrase de la restauratrice.

                    "Je vois que nous en pensons toutes les deux le plus grand bien !!!" dit la restauratrice avec ravissement puis : 

"Je suis Lucienne Vandoorme : Enchantée ! Mais appelez moi Lucienne".

"Miliane Forester : enchantée moi de même !  Miliane tout court aussi !"

 

Dans toutes les missions confiées à  Miliane,  jamais l' amitié ne pouvait y trouver la moindre place. Les enquêtes commençaient, se poursuivaient puis se terminaient toujours dans le  seul cadre strict et sans appel qui les régissait.

 

Sauf une fois, une seule : dans  l' Affaire John Aysgarth dite "Affaire du Béryl Rose".

Miliane y avait fait la connaissance de Tenebræ. Leur Amitié était née.

Pour toujours. 

Indéfectible.

Ajoutons ici que Tenebræ y avait mystérieusement - tout simplement - sauvé la vie de Miliane.

 

Lucienne et Miliane échangèrent leurs numéros de portables, Miliane promit à Lucienne qu' elle la contacterait dès qu' elle apprendrait quelque chose sur le départ  de Paul Courtois, sans toutefois lui révéler qu' elle avait été mandatée dans le plus grand secret pour enquêter sur cette disparition. Lucienne, quant à elle, informerait aussitôt Miliane si Paul Courtois se manifestait.

 

Sur le chemin du retour Miliane reçut un message de Gagnon : "T'ai transféré A - si problème appelle moi" suivi d'un code et de quelques indications supplémentaires.

 

Il était minuit passé lorsque Miliane entra dans son immeuble. Elle fut tout de suite surprise par l'éclairage minimal et vacillant du grand hall d'entrée qui lui conférait une luminosité lunaire et quasi sépulcrale digne de la Hammer Films !!!

Un groupe de personnes attendait l'ascenseur.

Miliane en les rejoignant reconnut Madame Labokah. Les trois autres personnes qui étaient en sa compagnie semblaient appartenir à une société spirite du XIXème siècle et leurs visages plâtreux et blêmes sortir tout droit de leur Musée de cire.

L' ascenseur arriva : "Entrons avant  Mademoiselle... " dit Madame Labokah en regardant Miliane fixement  "... Elle descendra de toute façon avant nous ! N'est-ce pas Mademoiselle ?!?... ..." ajouta Madame Labokah avec un sourire mielleux de vieille bigote"

 

Jamais voyage en ascenseur ne parut aussi long à Miliane : en sortant au 13ème étage, elle sentait encore dans son cou le souffle froid,  terreux et haletant de ces quatre fantômes !

 

 

 

                    

   

 

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