"Plus j'y réfléchis plus je sens qu'il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens." Vincent Van Gogh
CHAPITRE 4
À cette heure là la mer était étale. De petites vagues ondulaient sagement vers le bord de la plage.
Des enfants jouaient dans l'eau d'autres cherchaient des coquillages accroupis dans le sable, comme Verna et Nedge qui étaient un peu plus loin.
Un papa faisait un château de sable devant deux petites jumelles qui attendaient, les bras croisés, qu'il soit fini.
Des mamans discutaient tout en marchant de long en large au bord de l'eau en regardant régulièrement leurs enfants en train de se baigner. Une autre maman tenait de ses deux mains un bébé qui, debout, faisait ses premiers pas dans l'eau.
Il y avait une douceur et un calme qui contrastaient beaucoup avec l'ambiance criarde et quasiment sportive de l'après-midi où les enfants et les adultes partaient conquérants à l' assaut de grosses vagues étincelantes et toutes ourlées d'écume.
Miliane avança dans l'eau jusqu'à ce qu'elle n'eut plus pied et fit ensuite quelques brasses, puis la planche et Miliane se laissa paresseusement bercer par l'océan.
Au bout de quelques minutes Miliane se redressa et son regard fut attiré par une personne qui nageait littéralement comme une sirène, ou plutôt non, cette petite fille car Miliane s'aperçut vite que cette personne était une enfant, oui cette fille nageait plutôt comme un dauphin : Sa tête plongeait dans l'eau puis la petite fille rejaillissait soudain à la verticale en tourbillonnant sur elle-même comme seule serait peut-être capable de le faire une athlète de gymnastique aquatique de très haut niveau.
Miliane était émerveillée de voir une enfant réaliser de telles prouesses acrobatiques. Et la surprise s'ajouta à son émerveillement lorsqu'elle vit la petite fille nager vers elle.
Miliane ne bougea pas et fit semblant de ne pas s'en apercevoir.
La petite fille était maintenant tout près d'elle. Miliane la regarda : C'était la petite fille de l'ascenseur.
Il y avait quelque chose de très étrange dans les traits réguliers du visage de cette petite fille, sans que l'on puisse discerner exactement quel élément particulier en suscitait le trouble. Mais lorsque la petite fille la regarda, Miliane vit surtout les grands yeux vert bleu pâle bridés aux pupilles très dilatées et translucides comme des méduses qui non seulement surprirent MIliane mais la firent instinctivement regarder ailleurs.
"Je ne suis pas méchante. Ne vous inquiétez pas." dit la petite fille d'une voix douce et froide à la fois.
"Mais il faut que vous le sachiez..." continua la petite fille.
"Savoir quoi ???" demanda Miliane
"... maman dit qu'il ne reviendra pas."
"Mais QUI ??? Qui ne reviendra pas ???" lui dit Miliane d'une voix aussi tendre que celle d'une maman bienveillante parlant à son enfant.
La petite fille leva une main haut vers le ciel : "Le soleil"
Et la petite fille replongea dans l'eau. Miliane attendit de la voir réapparaitre.
En vain.
Miliane était perplexe : quel lien pourrait-il y avoir entre cette petite naïade et la mission qu'on lui avait confiée ? Et ce qui interrogeait Miliane davantage encore était la prédiction annoncée par 3 fois de cette petite fille d'origine inconnue.
Et d'un coup Miliane réalisa que la petite fille du tableau c'était elle. Mais qui était donc cette maman annonciatrice du pire ???
Miliane revint vers la plage : il était temps pour elle de rentrer et de commencer à mettre tout les évènements dont elle avait été témoin sur un grand tableau et de faire certains liens entre les uns et les autres.
Une petite balle rose en mousse affleura sur l'eau juste devant Miliane. une petite balle sans doute oubliée par un enfant.
Miliane retourna vers l'endroit de la plage où étaient ses affaires précieusement surveillées par Jenny, (Elles s'appelient toutes Jenny - ils se nomment tous Arthur) une collègue du Nombre.
La petite balle aussi.
Sur la plage un homme torse nu en jean avec un petit orgue portatif chantait "Le môme éternel".
Il regarda Miliane : "une p'tit' pièce M'dame ??!" (Pour une fois qu'un romancier entre dans son propre roman !!!...)
Miliane rangea ses affaires dans son sac et avant de partir : "Je vous remercie Jenny."
"Ho ! cette plage et le soleil : c'était un plaisir !" dit Jenny qui attendit que Miliane soit assez éloignée pour partir à son tour.
Mais elle rappela soudain Miliane : "Vous devez certainement avoir oublié ceci..."
Miliane célébra le professionnalisme de Jenny et ses yeux de lynx : "Ha... Mais... ... Oui... Vous avez raison... Heureusement que vous êtes là... .. ."
Et Miliane prit la petite balle rose en mousse qui tournait sur elle même dans le sable comme une toupie.
Jenny, le visage grave, demanda : " Voulez vous que je fasse un rapport sur cette balle ???"
"Oui. Sait-on jamais : si je disparaissais. Donc précisez bien qu'à 11h30 j'entrais en possession de cette balle."
dit simplement Miliane en s'en allant.
Miliane fit quelques courses puis revint chez elle par l' Avenue Matisse. Dans le hall d'entrée de l'immeuble Madame Bastet dans une robe toute fleurie et coiffée d'un immense chapeau plat à pois à la Louise Bourbon orné d'un ruban rose alla, d'une démarche chaloupée à la rencontre de MIliane qui arrivait.
"Ha ! Mais je ne savais paaaaaas qu'il y avait aussi des plantes vénéééééneeeeuuuuuuses sur les plaaaaaages !!!" dit Madame Bastet d'une voix de gorge déclamée et chantante qui résonna dans tout le hall.
"Une confidence en appelle une autre..." lui répondit Miliane "...Moi je croyais que le Prix de Diane était uniquement réservé aux jeunes juments. Croisez les doigts !!!"
Madame Bastet, en fermant les yeux un court instant, fit celle qui n'entendait rien, puis, tout en réajustant son chapeau, elle redressa fièrement la tête, et en roulant des hanches, traversa le hall en direction de la sortie en regardant droit devant elle comme dans un défilé de mode.
Miliane entra dans l'ascenseur et appuya sur le 13 qui était son étage.
Arrivé au 7ème étage l'ascenseur s'arrêta et les portes s'ouvrirent sur... ... ...la Galerie des Glaces du Château de Versailles en 1678.
Trois hommes en perruque discutaient sans prêter aucune attention aux portes de l'ascenseur qui restaient ouvertes.
Une femme vint les rejoindre et leur dit :
"Mademoiselle de Fontanges a décidément beaucoup trop d'esprit ! Presque plus que notre Grand Roi !...."
Les trois hommes se mirent à rire puis la femme ferma son sourire en dévisageant Miliane :
"... Peut-être... devrait-elle faire... ...plus attention..."
Les trois hommes, main à l'épée, se tournèrent alors eux aussi vers Miliane qui ne lut sur leurs visages que gravité, désarroi et infinie tristesse.
Les portes de l'ascenseur se refermèrent.
Dans le sac jaune la petite balle en mousse s'agitait et le bosselait par endroits, Miliane lui parla comme à un petit chat en voyage dans son panier : "Oui oui oui ! On arrive on arrive : je vais pouvoir te libérer !"
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