"Plus j'y réfléchis plus je sens qu'il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens." Vincent Van Gogh
CHAPITRE 3
"Au moins là ! Les choses sont claires !" se dit Miliane finalement très satisfaite d'avoir fait ainsi déjà connaissance avec Madame Bastet.
Plus que que les événements étranges, brusques et incessants qu'offrait cet appartement, c'étaient paradoxalement les choses normales qui étonnaient maintenant le plus Miliane. Elle fut en effet toute surprise de prendre pendant plus d'une heure un bain délicieux au calme où rien ne vint déranger ses pensées dans leurs demi-sommeils rêveurs. Et même le miroir de cette salle de bain lui accordait un répit !
Miliane enfila un peignoir et avant d'aller dans sa chambre elle se fit un copieux plateau-repas dans la cuisine et prit la serviette en cuir qu'elle avait cachée derrière le réfrigérateur et elle emporta le tout dans sa chambre.
Miliane posa la serviette en cuir et le plateau-repas sur son lit puis ouvrit la fenêtre et resta plusieurs minutes à contempler l' étendue scintillante et bleu nuit de l'océan qui, sous la lune, se confondait sans limite avec le ciel étoilé.
Le petit frigo dans la chambre avait tout de suite fait ami-amie avec Miliane qui y avait mis aussitôt, des jus de fruits, du Coka, du champagne et, dans la partie congélateur, un sorbet à l' abricot et aussi une autre bouteille de champagne car Miliane adorait le champagne frappé. Mais les langoustines que venait de recevoir le poissonnier de l' Avenue Matisse et qu'il avait bien voulu cuire pour elle, Miliane ne les avait surtout pas mises au réfrigérateur ainsi que le feuilleté d'artichaut croustillant et voilà le plateau à peine assez grand pour y contenir aussi le pain, le beurre et les assiettes.
Miliane s'offrit une cigarette, l' alluma puis tout en débouchant la bouteille de champagne elle regarda la serviette en cuir marron. Miliane adorait le poppp !!! des bouchons de champagne et celui-ci lui fit penser tout à coup à son ami et collègue Simon du Service des Topos qui lui avait dit : "Si je viens te faire un p'tit coucou promis ! J'ammènerais du champ'." Mais cela ne risquait pas d'arriver car les missions de Miliane étaient si secrètes que seules quelques très rares personnes savaient où et comment la joindre.
Miliane alla ouvrir une valise et en sortit une boite dans laquelle elle prit une paire de gants stériles. Elle s'assit sur le lit et ouvrit la serviette en cuir. La première chose qu'elle y trouva était un passeport : celui, toujours valide, de Paul Courtois. Puis une pochette Kodak dans laquelle il y avait une trentaine de photos qui représentaient toutes la même chose : la cuisine de l'appartement mais toute sombre et comme balayée par une tornade sous une pluie torrentielle.
"Ça par contre c'est vraiment in-té-re-ssant." se dit Miliane en souriant. "Sacrée Madame Dune !!!"
Tous les clichés de la cuisine n'étaient pas tout à fait identiques et certaines photos étaient même si floues qu'un petit autocollant y avait été apposé dessus : "Non facturé".
Miliane étala les photos sur le lit puis elle repris ses fouilles dans la sacoche.
Elle trouva une carte postale représentant la Tour Eiffel au coucher du soleil. Au dos on pouvait lire :
"Maman dit qu'il ne reviendra pas". L'écriture parraîssait être celle d'un petit enfant.
Cette carte avait été adressée à Monsieur Paul Courtois Hôtel des 3 Serres - Blaillac.
Et enfin, au fond de la serviette, il y avait un gros carnet dont les premières pages étaient remplies d'horaires écrits avec des couleurs différentes et avec aussi parfois des annotations comme "ne pas en sortir" ou "La femme n'y est pas cette fois-ci" ou encore "Quand il manque une statuette ne pas se retourner." et aussi "Essayer de prendre le télescope"
À la fin du carnet, sur les dernières pages, il y avait une sorte de tableau en plusieurs parties avec des coordonnées et des mots dans une langue que Miliane ne connaissait pas.
" Au diable tous ces mystères ! J'ai faim ! Les langoustines d'abord !" s'écria Miliane en se versant une autre coupe de champagne.
Tout en décortiquant sa première langoustine Miliane s'aperçut qu'elle n'avait pas fouillé dans la pochette extérieure de la serviette en cuir.
Miliane prit un mouchoir en papier entre ses doigts et fit glisser la fermeture éclair de la pochette.
Dans celle-ci il y avait :
- Une feuille de papier à lettre bleu pervenche pliée en 4.
- Un dictionnaire amoureux de l’Égypte pharaonique.
- Une coupure de presse à propos d'une Soirée Concert & Spiritisme organisée par Madame Labokah il y a trois semaines et justement dans cet immeuble. "Décidément ! Je vais de découverte en découverte !" pensa Miliane avec ravissement
Avec la pointe d'un couteau propre Miliane déplia lentement la feuille de papier à lettre. Il y était écrit à la main :
"Ta Lucienne t'attend dans le couloir !"
Le point d'exclamation amusa beaucoup Miliane. Qui pouvait bien être cette Lucienne ???.
À la fin de son dîner le sorbet enchanteur à l'abricot fut pour Miliane la plus délicieuse des odes au sommeil. Elle remis alors rapidement tous les documents dans la serviette en cuir et l'emporta avec le plateau repas dans la cuisine puis elle replaça la serviette derrière le réfrigérateur.
"Quelle journée !!!" se dit Miliane dans sa chambre en se glissant dans les draps.
Et elle s'endormit aussitôt.
Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Miliane se réveilla. "Quoi ?!! Déjà 9H ?!?!?!! J'ai dormi tout d'une traite sans même être dérangée par quoi que ce soit ?! Mais c'est merveilleux !!!"
Miliane toute joyeuse bondit de son lit et alla préparer son petit déjeuner. Elle ouvrit en grand la baie vitrée de la cuisine. Il faisait un temps splendide qui donnait envie à Miiane d'aller à la plage avec un bon livre. Et un bon livre il y en avait justement un dans la serviette en cuir. Elle en sortit le Dictionnaire amoureux de l' Égypte pharaonique.
Elle en commença la lecture en prenant son petit déjeuner. Et elle eut l'intuition dès les premières pages que ce beau livre allait être très utile pour son enquête.
Dans la salle de bain le miroir se contenta de regarder Miliane enfiler un maillot de bain d'un bleu turquoise éclatant.
"Miroir ! Mon beau miroir ! Je vais à la plage !" lui dit Miliane en ajoutant une grande serviette de bain dans son fidèle sac de marin
jaune d'or noué par un gros cordage blanc.
Quelques minutes plus tard Miliane était déjà prête. Elle sortit et prit l'ascenseur.
Au 7ème étage l'ascenseur s'arrêta et une petite fille en robe jaune, le visage baissé sous un chapeau de paille y entra.
Arrivée au rez-de-chaussée Miliane sortit de l'ascenseur mais pas la petite fille. Miliane s'en étonna, se retourna vers elle et la petite fille releva alors la tête et, en regardant fixement Miliane, elle lui dit : "Maman dit qu'il ne reviendra pas." Les portes de l'ascenseur se refermèrent et Miliane sidérée par ce qu'elle venait d'entendre vit que l'ascenseur avec la petite fille repartait vers les hauteurs !
Dans le hall de l'immeuble il y avait un grand panneau avec des infos pour celles et ceux qui y habitaient et aussi des tas de prospectus concernant la vie culturelle et touristique de la ville y étaient affichés.
Une personne était en train d'y apposer quelque chose. Miliane alla voir par curiosité. C'était une très vieille dame habillée comme au XIXème siècle avec une sorte de longue robe noire à crinoline et surtout un visage poudré comme une marquise au temps de Louis XIV dont les lèvres peintes d'un rouge carmin faisaient ressortir la surprenante pâleur.
"Aimez -vous la musique chère Madame ??? Je veux, bien évidemment, parler de la Grande Musique, celle qui élève l'âme et les Esprits de toutes soooortes !!! Mon grand oncle, paix à son âme !, nous enchantait littéralement mes sœurs et moi dans son grenier avec ses compositions musicales en quart de ton. Et tenez ! Justement j'organise une nouvelle soirée en son hommage. Vous nous feriez grand plaisir en vous joignant à nous. Madame Bastet m'a assurée de sa présence, Alors vous voyez : nous serons entre gens de bonne compagnie ! Voici un carton d'invitation : Ce sera le jeudi 13 Juillet, oui le 13 juillet, dans mon appartement au 18ème étage. Je suis Madame Labokah. À très bientôt j'espère !!!"
Miliane sortit de l'immeuble et traversa l' Avenue de l'Océan. D'un coup la brise marine et fraîche acheva d'effacer toutes les scories de ce qu'elle venait d'entendre.
Quelle journée radieuse et magnifique !
Miliane se déchaussa pour descendre trois petites marches en bois toutes sableuses. Et la voilà sur la plage !
La fouta ondulait comme les vagues et claquait sous la brise océane pendant que Miliane la déroulait avant de l' étendre sur le sable et de s'y allonger.
À coté d'elle à quelques mètres une adolescente faisait la roue devant un garçon avec un seau jaune en lui disant : "Ce soir n'oublie surtout pas Djoune ! Et les biscuits ! Et la gourde ! Et la lampe torche !" Et le garçon faisait oui oui oui de la tête à chaque fois."
Miliane sortit son portable et envoya un sms au Grand Meaulnes : "Monsieur, j'aurais besoin des services de Sparadrap. Mais il a besoin, lui, de votre accord."
Puis elle s'allongea sur le dos et ferma les yeux, tout en caressant le sable tiède sous ses doigts, avant de reprendre la lecture du dictionnaire amoureux de l' Égypte pharaonique.
Miliane se releva soudain : cette petite fille qui faisait la roue avait une voix qu'elle connaissait bien. Très très bien même : "Mais c'est la petite Verna ! Qu'est-ce qu'elle a grandi !" Miliane n'en revenait pas ! "Verna sur cette plage !!! Et sa maman ?!? Où est elle ????"
La transmission de pensée existe t'elle ??? En tout cas l'adolescente courait maintenant vers Miliane.
"Ça alors ?!?!?!! Mademoiselle Forester ?!?!?! Cela faisait une éternité !!! Quand maman saura que vous êtes ici !!!!!"
Miliane et Verna se firent la bise et la bise et la bise. Miliane avait souri au "Cela faisait une éternité !!!" de Verna car Verna aimait autant que sa maman, sinon plus, choisir avec soin et volontairement des expressions un peu surannées qui refleurissaient et rajeunissaient ainsi dans sa bouche !
"... Je suis en vacances chez Tante Alix et maman arrive la semaine prochaine.
Ho ! Attendez ! Il faut que je vous présente Nedge !..."
"... Neeeedge ! Viens un peu par ici !!!!"
Miliane vit arriver un garçon qui lui sembla plus jeune encore que Verna."
"Dis bonjour à Mademoiselle Forester... Voilàààà c'est bien !"
"Sa timidité est tout à fait agaçante mais je dois faire avec !" ajouta Verna toute heureuse en faisant un clin d'œil à Miliane.
"Au fait Verna : Tu fais toujours du piano ???"
Le petit garçon répondit à Miliane à la place de Verna avec une moue sérieuse et des yeux bleus tout rieurs :
"Elle joue à celle qui sait jouer du piano..."
"Ho ! Toi !!! Tu vas voir !!!!..." dit Verna toute ravie en esquissant des gestes pour chatouiller Nedge qui s'en alla en courant vers l'océan . "... Et voilà comment je me débarrasse vite fait de ceux qui m'embêtent !!!"
"Bon ! Je vous laisse Mademoiselle ! Je dois m'occuper de lui et il y a fort à faire !!! À bientôôôôôt !" dit Verna en courant rejoindre Nedge qui avait déjà les pieds dans l'eau.
En regardant Verna partir si promptement rejoindre Nedge Miliane comprit une fois de plus pourquoi ses amies et amis n'enviaient pas forcément le choix délibéré, volontaire et totalement assumé qu'elle avait fait de vivre seule !
Miliane repensa à ce "totalement assumé " qui devenait pharaonique et commençait même, sinon à avoir des airs de couronne mortuaire, du moins à sentir déjà un peu le rance !!!.
Miliane regarda son portable : elle recevait la réponse à son message :
17H devant l'immeuble.
G.
Miliane s'allongea et reprit la lecture de son livre.
Quelques minutes plus tard une femme vint s'installer à un mètre d'elle et resta assise à regarder l'océan.
Miliane regarda l'heure : il était 11H. La femme se tourna vers Miliane et lui dit : "C'est finalement une journée plutôt stable dans l'ensemble vous ne trouvez pas ???"
"J'y pensais justement !" lui répondit Miliane en se levant et elle ajouta : "Je n'en ai que pour 10mn"
"Prenez tout votre temps." se contenta de répondre la femme en sortant une revue de son sac.
Miliane alla alors se baigner.
... / ...